Données de marché : une dépense stratégique sous haute surveillance
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Après une augmentation de 12,4% en 2023 puis de 6,4% en 2024, les dépenses mondiales en données de marché ont atteint 44,3 milliards de dollars l’an dernier. Ceci tient à la sophistication croissante des produits financiers, à la pression concurrentielle, la complexité des marchés marquée par la diversité des instruments (dérivés, ESG etc.), l’internationalisation des places boursières et l’exigence des données en temps réels. S’y ajoute des évolutions réglementaires (MiFID II, EMIR, SFDR ou FRTB) qui exigent des volumes importants de données fiables, traçables et historisées.
Si les grandes banques d’investissement figurent parmi les premiers consommateurs de ces données, les besoins en données de marché s’étendent aux sociétés de gestions comme aux assureurs, et intéressent les directions des investissements comme les directions risques et conformité.
Les données de marché constituent ainsi un poste budgétaire stratégique, nécessitant un pilotage rigoureux. Il ne s’agit plus uniquement de négocier des remises ou de centraliser les achats, mais bien de repenser la gestion des données comme un processus transversal.
Trois piliers pour un pilotage efficace du coût de la market data
Une gestion maîtrisée du budget des données de marché repose sur trois axes :
- Pilotage budgétaire et provisionnement : il s’agit d’établir un budget annuel cohérent avec les besoins métiers tout en assurant un suivi mensuel rigoureux. Le provisionnement permet de lisser les dépenses, d’anticiper les hausses tarifaires et d’offrir de la visibilité aux directions financières.
- Gestion des accès et des licences : l’un des leviers les plus efficaces réside dans l’analyse fine des besoins utilisateurs. Cela implique la rationalisation des accès, l’identification des doublons, la suppression des licences inactives et l’ajustement des droits selon les usages réels. Bien souvent, des outils coûteux sont sous-utilisés ou affectés à des collaborateurs qui n’en ont pas l’usage direct.
- Optimisation des fournisseurs : les fournisseurs de données de marché constituent un écosystème à double dynamique, marqué à la fois par une forte concentration autour de quelques acteurs historiques (Bloomberg, Refinitiv, FactSet, Moody’s…) et par l’émergence croissante de fournisseurs spécialisés sur des analyses NLP (Natural language processing) financier ou des segments comme les données ESG. Ainsi, chaque contrat représente un levier potentiel. Comparer les offres, substituer certains outils, regrouper les négociations ou revisiter les modalités contractuelles permet d’engendrer des économies substantielles, sans compromis sur la qualité des données.
Optimisation du coût des données de marché : illustrations concrètes
Quelques cas d’usage permettent de mesurer l’impact :
- Bloomberg Terminal, outil emblématique mais onéreux (environ 2 200 € par utilisateur et par mois), peut dans certains cas être remplacé par FactSet ou Refinitiv Eikon. Pour des usages ciblés, -par exemple un analyste crédit (souvent équipé d’un terminal Bloomberg) a principalement besoin de données fondamentales, de cours historique et de notation -, cette substitution de Bloomberg par FactSet ou Refinitiv peut engendrer jusqu’à 40 % d’économies tout en répondant aux exigences fonctionnelles des utilisateurs. Ces arbitrages dépendent avant tout de la spécialisation, des cas d’usages réels et du périmètre fonctionnel de chaque utilisateur.
- Refinitiv vs FactSet : l’analyse des abonnements révèle parfois des usages similaires entre ces deux plateformes. Refinitiv Eikon est connu pour ses données en temps réels et sa couverture large des marchés mondiaux. Factset se distingue par sa profondeur analytique, notamment sur des modèles financiers personnalisables et des outils de screening sectoriels. Ainsi, il est essentiel de cibler le cœur de métier des utilisateurs pour les réaffecter en éliminant les doublons.
- Agences de notation (S&P, Moody’s, Fitch) : la dispersion des contrats entre différentes équipes nuit à la visibilité et au pouvoir de négociation. En centralisant les contrats et en négociant groupé, il devient possible d’obtenir des conditions tarifaires plus avantageuses et de sécuriser les droits d’accès.
- Factiva (Dow Jones) : souvent utilisé pour la veille presse mais rarement exploité à pleine capacité. La mutualisation des accès ou le remplacement par des solutions spécialisées, comme LexisNexis, permet de réduire les coûts tout en maintenant une couverture pertinente.
Analyses par classe d’actifs
Données de marché : un univers en pleine transformation
L’émergence de nouveaux acteurs, les modèles de facturation à l’usage ou encore l’introduction de solutions open source bouleversent les équilibres historiques. De plus en plus d’éditeurs, tels que Pitchbook (private equity), Sustainalytics (ESG) ou Carbon4Finance (climat), proposent des modèles plus flexibles, permettant une granularité inédite dans les abonnements. Cette évolution redonne un levier aux institutions financières, à condition de savoir le saisir.
L’adoption progressive de l’intelligence artificielle et du machine learning dans les départements de recherche et de risk management accroît encore la demande en données spécialisées, augmentant la pression sur les fournisseurs traditionnels. Parallèlement, la multiplication des exigences réglementaires (ESG, SFDR, FRTB…) appelle de nouvelles sources de données, souvent encore coûteuses et faiblement rationalisées. Dans ce contexte, un pilotage dynamique des dépenses de données de marché s’impose comme un impératif, non seulement économique mais également stratégique. Les institutions les plus matures sur le sujet ont engagé une transformation en profondeur de leur gouvernance Market Data.
Gouvernance market data : trois facteurs clés de succès
- Transversalité : la gestion des données ne peut plus être faite par une direction unique. Elle doit fédérer les achats, la finance, l’IT, la conformité et les directions métiers, dans une logique collaborative.
- Technologie : les outils de suivi des licences, d’analyse des usages ou de reporting Market Data constituent un levier stratégique pour optimiser les coûts et permettre un pilotage en temps réel. Leur déploiement constitue un investissement initial vite rentabilisé.
- Indépendance : dans un marché dominé par quelques géants, l’analyse critique des offres et la capacité à challenger les fournisseurs deviennent essentielles. Une posture d’achat éclairé, appuyée sur des benchmarks objectifs et un historique des négociations, est essentielle lors des négociations.
Une opportunité stratégique
La maîtrise des dépenses Market Data s’inscrit dans une tendance de fond : celle de la rigueur budgétaire, de l’efficience opérationnelle et de la responsabilisation des utilisateurs sur leurs usages. Au-delà des économies générées, cette démarche permet d’installer une culture de la donnée raisonnée, où l’usage qualitatif domine l’accumulation quantitative.
En période d’incertitude macroéconomique et de pression concurrentielle, cette maîtrise devient un avantage compétitif. Non pas en réduisant les moyens d’action, mais en rendant ces moyens plus pertinents, mieux ciblés et alignés avec les besoins réels.